Processus de l'atelier |
Un atelier au bout du tunnel
Les robinets télévisuels, internet, publicitaires coulent à flot. Nous sommes inondés d’images, tout est filmé, tout nous parait intéressant... Mais, qui a le pouvoir ? C’est les images ou c’est moi ? De l’idée au montage en passant par le tournage, l’équipe de ZINTV vous accompagnera pour construire votre regard et filmer la réalité que vous avez envie de montrer, annonce le flyer d’invitation à l’atelier....
Pour l’occasion, les associations PIGMENT VZW (Association bruxelloise active en milieu précaire et sans-papier) et AMO RYTHME (Aide en Milieu Ouvert) , se sont mobilisées pour accueillir au moins 8 jeunes entre 8 à 17 ans. Ils ont répondu à une demande de parents sans papiers qui cherchaient un espace où leurs enfants pouvaient participer à un atelier d’expression.
Vient donc le jour où nous les recevons au centre culturel Pianofabriek, lieu où se déroulera l’atelier vidéo. Le petit-déjeuner assuré par PIGMENT permet de vite briser la glace et surtout d’être ponctuel. Ensuite, dans la salle de l’atelier, tous autour de la table, nous sondons les envies, les attentes de l’atelier et surtout titiller le désir de cinéma. Le genre film d’amour est devenu minoritaire face à l’obscur engouement pour le film d’horreur, d’épouvante et de peur… l’envie d’exprimer et de partager des angoisses pose des questions, sans que nous puissions y répondre dans un premier temps. Cela aura au moins permis de lâcher des tensions liées au trac du début de relation, libérer des idées loufoques et forcément des éclats de rire. Toute personne qui se rencontre pour la première fois se teste psychologiquement. N’ayons pas peur, l’angoisse amorce toujours le début d’une histoire, d’une rencontre.
Nous projetons sur un écran un plan assez large du quartier. Trois volontaires doivent les yeux bandés, chacun, pointer au hasard, un lieu. Une fois les trois lieux désignés, nous partons les visiter dans l’espoir de trouver sur place les éléments pour faire notre film d’horreur. Effectivement, le premier lieu se trouve sur une place qui bizarrement ne porte pas de nom ! La place sans-nom se trouve dans l’intersection de la rue de la Perche, la rue Guillaume Tell, la rue Gisbert Combaz et la chaussée de Forest à 1060 Bruxelles. Nous mettons nos lunettes de cinéastes et commençons à chercher tout indice pouvant nous aider à trouver une bribe de notre film. Abdel remarque aussitôt une clôture qui ne sert à rien ! Ben oui, à l’intérieur il n’y a que des dalles en béton. Puis… une toile d’araignée entre les barreaux et… un grillage par terre ! Et si cette clôture renfermait une tombe où serait enterré un cercueil qui contiendrait un cadavre? C’est effectivement de cela qu’il s’agit : remettre en question le réel afin d’ouvrir l’imaginaire. Abdel accoste quelques passants afin d’en savoir plus sur ce cimetière clandestin, mais personne ne sait rien, tous sont pressés... Voilà qui est suspect ! Le groupe part immédiatement enquêter auprès de quelques hommes qui sirotent un café sur les terrasses du « Olegario », ensuite ils entrent dans la librairie « My Life » et l’épicerie de spécialités portugaises… mais, déçus, nous apprenons qu’il n’y a pas de monstre dans les environs et qu’il s’agit d’un endroit qui a toujours été pacifique et depuis que la rue a été rénovée c’est devenu encore plus paisible.
Comme le hasard nous l’a demandé, nous avons poursuivi les repérages à la place Bethléem où nous-nous sommes littéralement découragés par l’énorme potentiel cinématographique par mètre carré. Rare sont les endroits à Bruxelles si fertiles, qui contiennent une telle densité phénoménale d’incidents, d’histoires et de vie. Face à la saturation d’initiatives humaines, nous cédons et fuyons !
Arrivés au troisième choix hasardeux: un obscur pont qui passe au-dessus de la rue des vétérinaires et sur lequel passent les trains de et vers la gare du midi. Le décor est hideux, monstrueusement gris, empesté et sordide. Deux orifices font office de tunnel, l’un pour les voitures, l’autre plus petit pour les piétons. Nous-nous sommes fait dévorer par la bouche du tunnel et l’avons parcouru dans les deux sens de cet insolite tube digestif. Dans le ventre de ce reptile, nous avons ouvert grand les yeux et les oreilles, on a croisé des passants pressés, observé la variété des graffitis, des déchets… Nous rentrons au bercail et discutons sur les repérages effectués, nous comparons les trois lieux. Un consensus se dégage : c’est sous le pont que notre film prendra forme. La plupart des jeunes participants passent souvent par là, mais n’avaient jamais remarqué tous ces éléments.
Le lendemain-matin, nous expliquons les rudiments de la technique de prise de vues et du son. Dans l’après-midi, deux équipes de tournage sont opérationnelles. L’un accoste les usagers de ce tunnel, demandant aux piétons leur opinion sur les graffitis ou d’autres choses dont ils aimeraient parler. L’autre équipe filme les inscriptions sur le mur, une par une, les déchets par terre, une canette de bière, un matelas, comme des natures-mortes. Lors de la vision collective des images brutes au lendemain, cela prend des allures d’exposition dans une galerie d’art underground. On discute, on corrige, on retourne sur les lieux.
Le micro tendu, les jeunes participants prennent de plus en plus plaisir à dialoguer avec les passants car ils se sentent protégés par la caméra. Ils sont contents de les faire parler mais sans encore comprendre pourquoi ? Au début, la caméra n’est qu’un prétexte pour aller vers l’Autre. Les gens s’expriment. Certains parlent d’injustice, de révolte contre la société. Des sans-abris dorment dans ce tunnel la nuit. C’est scandaleux !
La vision des images tournées projetées sur le mur de la salle d’atelier montre clairement un mouvement narratif : au début ils filment des graffitis, puis ils sont allés vers les gens et les gens leur montrent les sans-abris. On découvre et sommes touchés par une inscription attentionnée écrite sur le mur adressé aux sans-abris, une trace de solidarité anonyme. Ils décident à leur tour de laisser un message sur les murs du tunnel dédicacé aux usagers nocturnes. L’atelier vidéo se transforme en atelier de peinture et sur du papier peint ils dessinent des trajets, des mots, des drapeaux de toutes les couleurs. A l’aide d’un pinceau imbibé de colle ils plaquent le papier dessiné contre le mur intérieur du tunnel, au-dessus des matelas par terre et immortalisent le moment avec la caméra. Geste clair de solidarité d’enfants sans-papiers destiné à des adultes sans-abris. Un triste tunnel transformé pour un moment en chambre à coucher, orné d’un nouveau papier-peint.
La fin du processus d’initiation à la vidéo culmine avec une vision collective d’une première mouture de montage que nous proposons. Tout est encore modifiable, la première évaluation par les participants est la base de notre discussion, chacun donne un retour et des retouches sont faites avant la projection publique. C’est le moment où ils s’approprient le film.
Les jeunes réalisateurs découvrent qu’on peut superposer le son avec d’autres images pour faire sens. Délicat moment où les participants perçoivent qu’ils ne viennent pas dans cet atelier pour devenir cinéaste, ni pour passer le temps, …. En fait, jusqu’à présent, ils ne savaient pas quel film ils faisaient, parce que l’idée de départ était le film d’horreur. Par leur désir de fiction, ils s’attendaient à ce qu’on écrive un scénario, tout en se laissant guider par une lecture en premier degré du réel. Nous, on a amené la dimension documentaire qui se confrontait avec leur vision de la fiction.
Quand ils ont vu le montage, la dimension sociale et ludique a pris le dessus. La mise en relation de tous les moments filmés au cours de la semaine dégage à présent une pensée construite, un point de vue sur le monde, dont les participants semblent tout à la fois fiers et étonnés. Ils réalisent, par cet assemblage, que leurs questionnements ont une place et une valeur dans l’espace public. On sent dans le groupe que si certains doutaient de leur regard, cette dernière vision a participé à augmenter l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes.
Un film sans projection publique n’est pas un film. ZIN TV organise l’événement avec un autre groupe d’enfants qui faisaient un stage vidéo en parallèle au Centre Culturel Pianofabriek. La salle de projection est comble. Lirwane et Chiraz, deux des participantes de l’atelier ont présenté le film intitulé sobrement « Le tunnel », elles en ont expliqué le sens et étaient fier de le montrer. Projection qui sera, nous l’espérons la première d’une longue série.
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